Rapport à F. Hollande, Président de la République Française
17 De même, un étudiant en médecine pourra terminer ses études sans avoir vu un mort. « Autrefois, les gens mourraient souvent », nous disait une étudiante en médecine lors d’une audition. Pourtant, il fut un temps, pas si lointain, où la mort était au programme du bac de philo, et où les étudiants en médecine voyaient des morts, mais où l’accompagnement des vivants en fin de vie n’était pas au programme des études médicales, ni de l’immense majorité des pratiques hospitalières. La révolution des soins palliatifs, durant les années 1970 (comme, dans un autre domaine, la révolution de l’anesthésie des nourrissons lors des interventions chirurgicales, durant les années 1980) ne constituent pas des retours à des pratiques antérieures, que la médecine aurait abandonné, mais des innovations. Quand une mort est annoncée, la première question qui vient est « de quoi est-il mort ? », comme s’il s’agissait forcément d’une maladie ou d’un accident, éventuellement attribuable à l’échec de la médecine. La vision que l’on peut avoir de la mort est surtout aujourd’hui celle de personnes très âgées, regroupées (et de fait exclues de la société) dans des institutions de type Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD). La concentration de personnes très âgées, malades ou handicapées, dans des structures « néo- mouroir » renforce l’angoisse « naturelle » de la mort (on est forcément angoissé de quelque chose que l’on sait devoir arriver mais dont on ne peut avoir l’expérience…) et stigmatise le grand âge. L’autre figure inquiétante de la mort à ce jour est la mort en réanimation, avec le sentiment d’une aliénation totale de la personne à ce moment ultime de la vie. La médecine triomphante de l’après-guerre, porteuse de tous les espoirs de guérir toute forme de maladie, a contribué à accroître l’espérance d’une société sécularisée. On a cru au pouvoir de la médecine comme on peut croire en Dieu. On a oublié de penser sa propre finitude, au sens de la condition humaine : naître et mourir. Ces évolutions sociales ont contribué à porter un nouveau regard sur la personne en fin de vie. Celle ci est vue non plus comme une personne dont le respect absolu s’impose aux vivants mais comme une personne en phase terminale dont le corps dégradé est de plus en plus insupportable à observer pour les vivants et qui ne sert à rien qu’à produire de la souffrance autour d’elle. Comment ne pas comprendre l’angoisse du mourant face à ce regard d’exclusion?
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