Rapport à F. Hollande, Président de la République Française

15 Outre cette médicalisation jugée sans âme ou excessive, l’allongement de la durée de vie, l’angoisse des situations de perte d’autonomie, l’éclatement des familles, l’isolement social, un individualisme de plus en plus présent, et la pression économique que la collectivité exerce sur les personnes âgées malades ou handicapées, et sur leurs familles, en exigeant qu’elles prennent en charge la totalité des coûts d’hébergement liés à leur perte d’autonomie dans les structures de soin – tout ceci concourt dans notre société, confrontée à des contraintes budgétaires, à faire de la fin de vie, et de la période, parfois très longue, qui précède cette « fin », une question de plus en plus angoissante et difficile. En effet, qu’entend-on par « fin de vie » : les trois semaines qui précèdent la mort, comme le suggère le délai accordé récemment aux proches pour accompagner une personne en « fin de vie », ou les mois ou années de vie qui suivront le diagnostic d’une maladie incurable ? Pour la personne en fin de vie, tout ceci concourt à accroître parfois le sentiment d’être seule, d’être une charge, voire d’être « de trop », d’être indigne de vivre ainsi, et de coûter, inutilement, cher aux siens. Le concept de mort « sociale » (en particulier pour les personnes âgées atteintes de maladies ou de handicap altérant les capacités cognitives et relationnelles, telles que la maladie d’Alzheimer) est venu, de manière violente, compléter le concept médical de mort « cérébrale 7 », et peut encourager des demandes de mettre fin à son existence. Il semble que notre société ait subi une évolution concernant la conception de la valeur de la vie humaine. Aujourd’hui, il peut s’observer une évolution des représentations sociales conduisant à ce qu’une vie ne soit considérée comme valable que lorsqu’elle est « utile », quand la personne fait, agit, produit, voire est rentable. Ainsi, subrepticement la vie de celle ou de celui qui ne « fait plus », « ne produit plus », voire « coûte » perdrait de sa valeur, d’où l’utilisation de plus en plus fréquente, et avec une connotation de plus en plus péjorative, des termes de personne « dépendante » ou de personne « assistée ». Mais il n’est pas certain que ces représentations soient si récentes que cela. En effet, qu’en était-il, il y a un demi-siècle, du soulagement de la douleur et de l’accompagnement des personnes âgées ou handicapées que leur famille, à elle seule, ne pouvait aider ? Qu’en est- il, encore aujourd’hui, des enfants autistes envoyés faute de prise en charge adaptée par l’assurance maladie vivre à l’étranger ? Qu’en est-il des personnes handicapées âgées ? Qu’en est-il des personnes souffrant de maladies psychiatriques, qui sont si souvent dans la rue ou enfermées en prison ? On trouve dans l’analyse de certaines des demandes d’euthanasie ce sentiment d’indignité, ce sentiment d’inutilité, voire le sentiment de coûter cher et d’être un poids pour les autres... Dans certaines situations difficiles, on peut être considéré ou se considérer comme mort socialement, avant d’être mort biologiquement, d’où ce malaise provoqué par ces situations, c’est-à-dire, une mort « incomplète » qui retirerait tout le sens de l’existence. Ceci est particulièrement vrai si l’on songe au regard parfois porté sur la fin de vie des personnes atteintes de maladies neurodégénératives évoluées, dont la maladie d’Alzheimer, ou de handicaps psychomoteurs graves. Ce sentiment de « mort sociale » est en fait très lié au regard porté par notre société sur ces personnes en fin de vie et leur « effet miroir » (ces 7 La « mort cérébrale » traduit une situation où l’on constate que toute activité cérébrale a irréversiblement disparu. La personne est donc morte en tant que sujet. La réanimation peut néanmoins conserver le corps vivant, et donc éventuellement disponible pour un prélèvement d’organe.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTc5ODk=