Kant, Emmanuel (1724-1804). Critique de la raison pure. 1869

PHÉNOMÈNES ET NOUMÈNES 317 moinsde sens que ces formessensibles pures: par celles- ci du moins un objet est donné, tandis qu'une manière propre à notre entendement de lier le divers ne signifie plus absolument rien si l'on n'y ajoute l'intuition dans laquelleseulecediverspeut êtredonné. Pourtant, quand nous désignons certains objets sous le nom de phéno- mènes, d'êtres sensibles (phœnomena),en distinguant la manière dont nous les percevons de leur nature en soi, il est déjà dans notre idée d'opposer en quelque sorte à ces phénomènesoucesmêmesohjetsenvisagésau point de vuede cette nature en soi,bien que nousne les percevions pas à ce point de vue, ou d'autres chosespossiblesqui ne sont nullementdes objets de nos sens, et, en les consi- ditions de l'intuition sensible; il faut encore que je sois fondé à ad- mettre une autre espèce d'intuition que cette intuition sensible, sous la- quelle un objet de ce genre puisse être donné; car autrement ma pen- sée serait vide, encore qu'elle n'impliquât aucune contradiction. Nous n'avons pas pu, il est vrai, démontrer plus haut que l'intuition sensible est la seule intuition possible en général; nous avons simplement dé- montré qu'elle est la seule possible pour nous; mais nous n'avons pas pu démontrer non plus qu'une autre espèce d'intuition encore est pos- sible, et, bien que notre pensée puisse faire abstraction de la sensibi- lité, il s'agit toujours de savoir si ce ne serait pas là une simple forme d'un concept, ou si après cette séparation il reste encore un objet. L'objet auquel je rapporte le phénomène en général est l'objet trans- cendental, c'est-à-dire la pensée tout à fait indéterminée de quelque chose en général. Cet objet ne peut pas s'appeler noumène, car je ne sais pas ce qu'il est en soi, et je n'en ai aucun concept, sinon celui de l'objet d'une intuition sensible en général, qui par conséquent est le même pour tous les phénomènes. Il n'y a point de catégorie qui me-le fasse concevoir, car les catégories ne s'appliquent qu'à l'intuition sen- sible, qu'elles ramènent à un concept d'objet en général. Un usage pur de la catégorie est, il est vrai, possible, c'est-à-dire sans contradiction; mais il n'a aucune valeur objective, puisqu'elle ne se rapporte à aucune intuition qui puisse en recevoir l'unité d'objet; car la catégorie est une simple fonction de la pensée par laquelle aucun objet ne m'est donné, mais par laquelle seulement est pensé ce qui peut être donné dans l'in- tuition. »

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